
Depuis le 13 novembre, la compagnie des Fouillons revient à la Folie Théâtre pour son nouveau spectacle « Rencontre avec Snowden ». Après une première version présentée en janvier, la troupe a retravaillé entièrement la pièce et nous présente donc cette nouvelle vision de l’histoire du lanceur d’alerte, Edward Snowden…
6 juin 2017, la journaliste française Florence Vasseur rencontre Edward Snowden en exil à Moscou afin de retracer son parcours pour son documentaire « Meeting Snowden ». Ensemble, ils vont revenir là où leurs vies, sans le savoir, basculera : le 11 septembre 2001 à New York. Un jour qui les marquera à jamais et les poussera à se dépasser comme pour s’excuser d’être vivants quand tant de vies ont été fauchées. Leur combat commun les poussera à des voyages et des prises de position importantes. Sans s’en rendre compte, ils vont tous les deux œuvrer pour un monde meilleur.
Avec cette pièce, la compagnie des Fouillons entre dans les failles d’un monde qui a été bouleversé par des catastrophes indélébiles. Comment vivre serein lorsque l’on a vu mourir des centaines de personnes sous nos yeux ? Comment ne peut-on pas ressentir le syndrome du survivant ? Y a-t-il des solutions pour essayer de mieux vivre après ça ? Florence ou Edward ont choisi, à leur manière de s’engager l’une pour aider à reconstruire un pays en guerre, l’autre en devenant soldat. Mais, très vite, ils vont se retrouver face aux nouveaux défauts du système. Peut-on vraiment aider en s’impliquant ? Le monde n’est-il pas gangréné de l’intérieur ? N’utilise-t-on pas les forces en puissance de façon à manipuler le peuple plus facilement afin de faire croire à un avenir meilleur ?
En effet, nos personnages s’impliquent, s’investissent dans leur chair, dans leur travail, dans leurs émotions, pour faire évoluer la situation. Ils refusent de dire non face à une situation qui ne leur convient pas. Malgré cela, ils font face à des obstacles, des personnages qui les empêchent d’avancer. L’auteur, Sylvain Bastonero, met en valeur la difficulté d’un monde en mouvement qui ferme les yeux sur la vérité et empêche ceux qui le souhaitent de parler. La métaphore de l’homme qui chute des tours jumelles est bouleversante. On constate la force de conviction des personnages comme Flore et Edward qui risquent leurs vies pour en sauver d’autres.
Dans cette pièce, certains comédiens interprètent plusieurs rôles à la fois afin de mimer justement ce mouvement qui les emprisonne. Cela rend la mise en scène dynamique et percutante. Les changements de costumes permettent aux comédiens de passer d’un personnage à l’autre avec beaucoup d’aisance. Les comédiens apportent toute leur sincérité et leur énergie pour faire vivre les personnages. On est touché notamment par le personnage de Lindsay, épouse de Snowden, qui fait preuve d’une grande abnégation.
Tout le travail de projection a été complètement revu de façon à mettre en avant les recherches et découvertes de Snowden au fur et à mesure du récit. Cela ancre dans le réel et appuie le propos de façon à bien mettre en valeur les choses racontées et donner de la gravité à la situation. SMS échangés, images de l’actualité, références à des personnages importants dans le monde… L’écran de fond de scène devient un prolongement de l’écran d’ordinateur de Snowden, ce qui donne au spectateur d’être complice du lanceur d’alerte et de découvrir avec lui les enjeux dramatiques de la surveillance des individus. Parler de surveillance par ordinateur en utilisant les outils de celle-ci est beaucoup plus poignant qu’un simple discours.
La métaphore des cubes, déjà présente auparavant, est encore plus mise en valeur. Le rubik’s cube (présent lors du réel entretien en Flore Vasseur et Edward Snowden) que se passent les personnages comme une sorte de bâton de parole leur permet de raconter leur histoire et cela fonctionne parfaitement. D’autant que tout rappelle ce cube à travers la mise en scène : le bureau est formé de plusieurs cubes, le siège d’ordinateur est un cube et, au fil de l’histoire, les comédiens déplacent des cubes comme un rubik’s cube géant où des mots comme PRODUCE, FIGHT, RELAX, TRY sont écrits en anglais, donnant comme des sous-titres à l’action. Cela amplifie l’ambiance de casse-tête dans lequel se trouvent les personnages, comme une partie sans fin dont on ne peut se démêler. Cela crée une sorte d’angoisse d’urgence pour le spectateur qui se laisse piéger. Ainsi, on peut se demander si le monde n’est pas dans un dangereux Rubik’s cube dont nous serions les éléments, tournés et retournés par une société qui nous broie.
Autre changement, me semble-t-il, l’utilisation régulière d’hommes en noir aux visages cachés par des masques blancs et à la voix parfois modifiée montrant le secret dans lequel se trouve Snowden dans son travail. Cela confère à l’histoire son caractère mystérieux et augmente la sensation d’inquiétude du spectateur.
La fin aussi est d’autant plus marquante qu’elle laisse une ouverture au spectateur sur l’avenir, prouvant l’importance de spectacles comme celui-ci dans notre monde actuel dont la bande annonce se trouve pourtant censurée par Instagram. Nous ne divulgâcherons pas cette fin mais elle laisse le spectateur dans un malaise important et des interrogations sur le futur de la société à l’heure de la démocratisation de l’intelligence artificielle.
« Rencontre avec Snowden » est une pièce à message politique fort, servie par une troupe pleine d’énergie et de dynamisme. Une pièce importante dans notre société. A voir.
Audrey C.
COMPAGNIE : Les Fouillons
MISE EN SCENE : SYLVAIN BASTONERO
DECORS : JULIE ROUXEL
EFFETS SPECIAUX : ANVHI DEFAUX
MUSIQUE : ALEXIS TRAN
AVEC EN ALTERNANCE : CLARA JAUVART-LACOSTE, ALEXIS TRAN, JEREMIE SCHEFFLER, SYLVAIN BASTONERO, CYRIELLE BUQUET ET CELYA HUMANN.
AVEC : LE SOUTIEN DE FLORE VASSEUR
Où ? À la folie Théâtre, 6, rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris
QUAND ? Jusqu’au 31 janvier
Durée : 90 minutes
Chronique publiée le 07/02/2025 sur La rue du Bac. Remise à jour le 3.12.2025 pour FAUTEUIL D’ORCHESTRE