Depuis le 12 novembre, le Lucernaire accueille « Cyrano(s) », une adaptation de l’œuvre d’Edmond Rostand par la compagnie des Moutons noirs. Après avoir tourné depuis quelques années, notamment à Avignon en 2019, la troupe s’installe désormais à Paris jusqu’en février 2026.

L’histoire est connue de tous : Cyrano aime Roxane, Roxane aime Christian. Cyrano se trouve laid et n’ose pas dévoiler ses sentiments à la jeune femme. Il préfère aider le beau Christian à la conquérir…

Chaque année, plusieurs nouvelles adaptations de cette pièce apparaissent dans les théâtres parisiens. Et pourtant, avec « Cyrano(s) », nous avons bel et bien affaire à une vision complètement novatrice de cette œuvre. Prenez cinq comédiens. Chacun va se retrouver dans la peau de Cyrano l’espace d’un acte afin de montrer qu’en chacun de nous se cache une part de Cyrano. N’avons-nous pas tous une raison de nous dévaloriser ? Ne sommes-nous pas tous freinés dans nos actions par des préjugés que nous nous créons nous-mêmes ? L’être humain n’est-il pas ainsi fait qu’il a tendance à ne pas voir ses qualités au profit de ses défauts. Ainsi, les comédiens vont tour à tour mettre le nez de Cyrano et prendre la parole au micro, sous le ton de la confidence, pour nous expliquer ce qui fait d’eux un Cyrano 2.0 : syndrome de La Tourette, honte de son corps, volonté de trop bien faire, hypocondrie… Chacun porte en lui une faille qui le paralyse mais qui est oubliée une fois sublimée par un plateau de théâtre. Ainsi, comme Cyrano brille lors de ses duels, le comédien rayonne à l’incarner, lui donner corps et se laisser prendre par ses émotions. Le public se retrouve alors dans chacun d’eux, donnant à l’œuvre tout son sens. Cyrano de Bergerac, c’est l’histoire d’un amour gâché par un mal-être trop présent. Cyrano se sent trop laid pour séduire Roxane, Christian se croit trop bête, Roxane se laisse charmer par ce qu’elle pense être la réalité. Et si les choses avaient été différentes ? Si chaque personnage avait assez cru en lui pour oser affronter ses démons ? Certes, l’histoire ne serait plus la même et n’aurait pas la tournure dramatique qu’elle prend encore aujourd’hui. Mais quelle réussite pour l’âme humaine ce serait ! Voir cinq comédiens au physique différent, à la voix différente et même au genre différent interpréter un même personnage montre la modernité de ce texte qui porte encore tout son sens aujourd’hui. Loin des clichés, on entre surtout dans une certaine humanité apportée par les textes ajoutés à ceux de l’œuvre initiale.

Pour cela, il fallait des interprètes à la hauteur de l’histoire. Quatre hommes, une femme, qui interprètent tour à tour les différents personnages grâce à des accessoires et des costumes, pour permettre une bonne compréhension du récit. Cela rend l’action plus vivante et drôle. Car, oui, on rit beaucoup par la qualité de certaines répliques d’abord puis par les situations parfois cocasses créées (avec la duègne notamment). Chaque comédien apporte sa touche personnelle aux personnages et notamment à celui de Cyrano qui prend ainsi une ampleur encore plus grande. On le découvre brave, touchant, triste, plein de rage… C’est toute la complexité de ce personnage qui est mise en avant et c’est brillant. On appréciera notamment l’intelligence de faire jouer ce rôle au début par la comédienne qui interprétera Roxane, car cela insiste davantage sur la filiation entre les deux personnages et cela annonce le courage de la jeune femme à l’acte IV lorsqu’elle franchit les lignes ennemies en tant de guerre. En outre, Cyrano meurt sous les traits de l’acteur qui interprète Christian tout au long de la pièce. C’est un peu faire un pied de nez au récit : et si finalement les mots rendaient Cyrano beau ? N’a-t-on pas oublié que cette histoire narre le gâchis d’un défaut d’acceptation de soi-même ? A une époque où les réseaux sociaux renvoient des images tronquées des individus, n’est-il pas nécessaire de réfléchir sur l’éphémère de l’apparence et ses conséquences ?

« Cyrano(s) » est une adaptation pleine de surprises, qui parle directement à l’âme de chacun, servie par des comédiens touchants et dynamiques. A voir pour réveiller le Cyrano en nous…   

Audrey C.

D’après Edmond Rostand

Mise en scène Les Moutons Noirs

Avec Roland Bruit ou Mathieu Alexandre, Axel Drhey ou Victorien Robert, Yannick Laubin ou Charly Labourier, Pauline Paolini ou Camille Demoures, Bertrand Saunier ouThibault Sommain

Lumières Rémi Cabaret

Masques Yannick Laubin

Production Les Moutons Noirs

Soutiens Tarmac la scène internationale francophone, le lavoir moderne parisien, le théâtre traversière Paris

OU ? Au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris

QUAND ? Jusqu’au 15 février 2026

TARIFS : 32€

DURÉE : 1h40

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