
Depuis le 7 avril, le spectacle « Pub Royal », la comédie musicale des Cowboys fringants, une création de la compagnie Les 7 doigts de la main et de La Tribu, sillonne la France avec un passage au Dôme de Paris les 18 et 19 avril 2025. Après le triomphe de leur première venue dans la capitale en avril 2024 au Grand Rex, la troupe a pu présenter son histoire à un public plus large dans de plus grandes salles. Et à en juger par les réactions des spectateurs, on espère que ce spectacle, auréolé de 2 Félix à l’Adisq (l’équivalent québécois des Victoires de la Musique), reviendra bientôt en France pour une séance de rattrapage pour ceux qui l’auraient manqué.
Après un accident de voiture, Jonathan Doyer, courtier en assurances, entre dans un pub situé au milieu de nulle part afin d’appeler une dépanneuse. Il est accueilli par Siriso, l’étrange maître des lieux vêtu de noir, qui lui présente ses compères, des gens égratignés par la vie : Normand, un camionneur, Yves, un chômeur, Loulou, une rockeuse, Catherine, une serveuse, Johnny Flash, une ancienne star de la chanson, ainsi que plusieurs compagnons qui dansent et chantent autour d’eux. Désorienté dans ce repère mystérieux, Jonathan va vite se rendre compte qu’il est bloqué ici pour un bon moment…
Le spectacle rend hommage au groupe Les Cowboys fringants, très populaire au Québec dont le chanteur, Karl Tremblay, en partie à l’origine de ce show, est décédé en novembre 2023, quelques jours avant la première médiatique outre-Atlantique. Son importance dans le cœur du public québécois est telle que des funérailles nationales ont été organisées en son honneur. Le spectacle « Pub Royal » lui est d’ailleurs dédié. Il s’agit d’une comédie musicale jukebox, puisque les chansons sont issues de l’œuvre des Cowboys fringants, même si quelques morceaux ont été créés spécialement pour le show (et édités depuis dans l’album éponyme). Cependant, il n’est pas nécessaire de connaître les titres en amont pour entrer dans l’histoire, tant celle-ci a été bien pensée.
En effet, il est souvent ardu de bâtir un récit à partir de chansons déjà existantes, ce qui donne parfois un aspect factice à celui-ci. Avec « Pub Royal », la tâche a été parfaitement exécutée, si bien qu’on pourrait s’imaginer que tout a été inventé pour le spectacle. Les personnages sont présentés de manière fluide, on comprend facilement les liens qui les unissent. Cependant, l’habileté de l’écriture narrative fait que le public se retrouve dans le même trouble que Jonathan, jusqu’à la chute finale que nous ne dévoilerons évidemment pas afin de ne pas gâcher la surprise des futurs spectateurs. On voit que l’équipe créative a tout fait pour créer une histoire crédible, qui maintient le public en haleine jusqu’au bout. Et ça marche ! Quel plaisir que de se laisser emporter pendant deux heures par ces personnages hauts en couleurs !
La musique entraine le spectateur mais elle est magnifiquement en corrélation avec la mise en scène de Sébastien Soldevila de la compagnie Les 7 doigts de la main. On en prend plein les yeux. Le metteur en scène réussit le tour de force que cherche chaque spectacle musical : allier chanteurs et artistes circassiens dans des tableaux chorégraphiques époustouflants. Le plateau initial du bar à deux niveaux se transforme tantôt en bateau (« La Traversée (de l’Atlantique en 1774) »), tantôt en camion (« L’Amérique pleure »), tantôt en scène (« La fin du show »)… Saluons le brio des acrobates qui occupent la scène par des numéros tous plus spectaculaires les uns que les autres, utilisant même le mât chinois et créant des portées à couper le souffle. Tout cela mêlé aux costumes et à l’utilisation fine des lumières fait qu’on n’a pas assez d’yeux pour savoir où regarder. On assiste véritablement à un spectacle complet et captivant. Techniquement parlant, on regrettera juste peut-être un son un peu faible ne rendant pas assez en hommage à la performance des artistes. On rêverait de voir ce spectacle avec des musiciens en live pour en profiter encore plus.
Les Cowboys fringants sont notamment connus pour leur engagement. « Pub Royal » met en lumière plusieurs problématiques comme celles de l’environnement, de la solitude, du suicide, de la folie du monde actuel, du chômage… Peut-on retrouver de l’espoir même quand tout semble trop difficile à supporter ? Faut-il toujours continuer à se battre ou bien accepter ses malheurs ? Que se passe-t-il réellement après la vie, après un choc, après un accident ? Doit-on régler nos dettes, quelles qu’elles soient ? Y-a-t-il une deuxième chance pour ceux qu’on appelle les « éclopés de la vie » ? Tant de questions qui interpellent le public qui n’en ressort pas indemne. Au-delà de reprendre simplement des chansons plus ou moins célèbres du groupe, « Pub Royal » offre un réel message aux spectateurs (auquel il fait quelques clins d’œil plusieurs fois dans le show) : celui de vivre intensément chaque jour sans en gâcher un instant. Même si ce spectacle peut faire beaucoup réfléchir, il reprend également l’esprit de fête du groupe québécois, on rit beaucoup, on s’émerveille, on s’enchante. Comme au Grand Rex l’an dernier, le public a du mal à sortir de la salle, continuant d’entonner quelques airs avec une ferveur communicative.
Enfin, il nous faut applaudir la force de l’interprétation de chacun des chanteurs qui incarnent leurs personnages avec une réelle sincérité, en plus d’exceller vocalement et de s’impliquer dans les chorégraphies. Ils ont été parfaitement choisis pour leurs rôles et donnent tellement qu’on ne voit pas passer les deux heures de show. On prend toute l’énergie de la troupe avec Siriso sur « Bienvenue chez nous ». On se retrouve dans la vie bien réglée mais difficile de Jonathan sur « Les maisons toutes pareilles ». On s’attendrit devant le constat de Normand sur « L’Amérique pleure ». On admire la force et le courage de Loulou qui ne se laisse pas diriger dans « Loulous vs Loulou ». On s’émeut face à la tristesse de la Catherine dans « Pub Royal » (dont le tableau est visuellement magnifique). Enfin, on ne peut que penser au regretté Karl Tremblay avec le titre « La fin du show » de Johnny Cash qui nous touche jusqu’aux larmes et dont la sortie de scène est tout simplement bouleversante. Ajoutez à cela le charme d’entendre parler et chanter québécois…
« Pub royal » est un petit bijou du spectacle musical, à l’intrigue fouillée et à la mise en scène époustouflante, servie par des interprètes tous plus talentueux les uns que les autres. Que vous connaissiez ou non l’œuvre des Cowboys fringants, vous vous laisserez porter par ce show. Vous en prendrez plein les yeux et plein le cœur. A voir et à revoir absolument.
Audrey C.
Metteur en scène : Sébastien Soldevila
Une production La Tribu et Les 7 doigts de la main
Chansons et musique : Les Cowboys Fringants
Auteur du livret et metteur en scène : Sébastien Soldevila
Directeur musical et compositeur : Jean-François Pauzé
Acteurs / Actrices • Chanteurs / Chanteuses
Siriso : Kevin Houle
Jonathan Doyer : Richard Charest
Johnny Flash : Martin Giroux
La Catherine : Alexia Gourd
Loulou Lapière : Emilie Josset
Yves : Christian Laporte
Normand : Yvan Pedneault
André : Jérémy Roy
Danseurs / Danseuses
Sunny Boisvert, Danny De Matos, KennedyHenry, Merryn Kritzinger, Guillaume Michaud, Éric Olivier et Gabrielle Roy.
Artistes de cirque
Victor Crépin, Marie-Eve Dicaire, Teo Le Baut, Justine Méthé-Crozat, Kei Nguyen et Jérémy St-Jean
Auteur des dialogues : Olivier Kemeid
Chorégraphe : Geneviève Dorion Coupal
Directeur musical : Daniel Lacoste
Scénographe : Olivier Landreville
Concepteur éclairage : Éric Champoux
Concepteur costumes : Sylvain Genois
Accessoiriste : Alain Jenkins
Coiffures et maquillages : Virginie Bachand
Conception vidéo : SUPPLY AND DEMAND
Directrice de production de création : Kathleen Gagnon
Directeur technique : Louis Héon
Assistantes à la mise en scène : Charlotte Legault et Émilie Bonnavaud
Assistante chorégraphe : Jacinthe Pauzé
Co-Chorégraphe sur un numéro : Rahmane Belkebiche
Coach et arrangements vocaux : Jason McNally
Coach de voix diction et interprétation : Luc Bourgeois
Coordonnateur musical : Antoine Seychal
Concepteur acrobatique : Stéphane Bayol
Durée : 2h00 (avec 20 minutes d’entracte)