Depuis le 4 décembre, le Théâtre des Gémeaux parisiens accueille « Belles de scène », la pièce qui brille depuis 2022 à Avignon. Enfin, Paris peut découvrir ce petit bijou théâtral.
Londres, 1661. Les théâtres rouvrent après plusieurs années de fermeture pour la révolution puritaine. Edward Kynaston triomphe en Desdemone dans « Othello ». En ce temps, les femmes n’étaient pas autorisées à jouer au théâtre. Jusqu’au jour où, dans un théâtre voisin, Maria, l’habilleuse de Kynaston, reprend son rôle. Un bouleversement va avoir lieu…
Qu’il est bon au théâtre d’apprendre des choses ! Avec « Belles de scène », on nous donne à voir des faits historiques, évidemment romancés, afin de mettre en lumière des éléments que peu connaissent. Bien évidemment, on se souvient que, du temps de Shakespeare, les rôles de femmes étaient tenus par des hommes, comme le montre le très réussi « Shakespeare in love ». Mais ici on peut donner un nom, un visage, une voix à l’un des derniers comédiens du genre. On comprend à quel point ces artistes étaient conditionnés à jouer la féminité, en cherchant à gommer pendant des années toute forme de masculinité au profit du théâtre. A cette époque, il n’est pas question de réflexion sur le genre mais on s’extasie devant le talent de ces hommes qui réussissent, avec autant de justesse, à interpréter des rôles féminins. Cette phrase de Kynaston disant qu’il n’y aurait aucun intérêt à voir une femme jouer un rôle de femme, puisque le travail ne serait pas assez intéressant, est particulièrement frappante.
Cependant, on s’aperçoit que la première comédienne ayant osé monter sur scène pour jouer un rôle féminin a révolutionné son époque, au point de réussir, par l’intermédiaire de la maîtresse du roi, à faire interdire le jeu des femmes par les hommes. Ainsi, ce qui était naturel devient tout d’un coup marginal, voire contre-nature ! On est choqué par la cabale que va subir ce cher Kynaston, autrefois tant admiré. On comprend alors que les préjugés ne mettent pas longtemps à naître et que la violence monte bien plus vite qu’on n’aurait pu l’imaginer. C’est alors la vie entière de plusieurs comédiens qui s’est retrouvée bouleversée en un clin d’œil, selon la seule bonne volonté du roi !
La mise en scène permet de jouer entre ce qui se passe sur scène et dans les coulisses avec l’utilisation d’un plateau sur le plateau et de la montée ou descente du rideau de décor. Ainsi, on entre au plus près de ce que les comédiens et leurs équipes laissent paraître ou cachent aux yeux de tous.
On est ému par la relation passionnelle mais peu assumée entre Kynaston et le Duc. On admire la leçon de jeu que fait Kynaston à Maria à la fin de la pièce. On se laisse séduire lors de la scène dans l’auberge. On rit des frasques du roi et de sa maîtresse. On se révolte des divers arrangements pour faire augmenter la recette.
Les comédiens interprètent leur rôle avec beaucoup de justesse et on sent une véritable connivence entre les acteurs. Mention spéciale évidemment pour Vincent Heden (déjà impressionnant dans le sublime « Love Circus ») pour sa prestation tout en nuances et en fragilité. Il nous présente un Kynaston à la fois fantasque et bouleversant.
Les costumes et les lumières jouent également avec l’aspect théâtral de la situation. C’est bien pensé, bien joué, et on prend plaisir à suivre ce récit jusqu’au bout.
« Belles de scène » est une pièce touchante, pleine de vérité et de tendresse. Une pièce qui fait réfléchir et qui émeut par sa justesse.
Audrey C.
De : Jeffrey HATCHER
« MESDAMES À VOUS DE JOUER ! »
Adaptation : Agnès Boury, Vincent Heden et Stéphane Cottin
Mise en scène et scénographie : Stéphane Cottin
Avec : Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin, Emma Gamet, Vincent Heden, Sophie Tellier, Patrick Zard’
Musique : Cyril Giroux
Costumes : Chouchane Abello Tcherpachian
Lumière : Moïse Hill
Assistante à la mise en scène : Victoire Berger Perrin
Où ? Au Théâtre des Gémeaux parisiens
Quand ? Du 4.12.24 au 16.03.25
Tarifs : 19€
Durée : 1h30
Chronique publiée le 16.12.2024 sur La rue du bac
