Depuis le 19 octobre, le Théâtre Juliette Récamier accueille « Freedom Club », la nouvelle pièce de Nicolas Le Bricquir. Après le succès de « Denali » qui triomphe encore au même théâtre (voir notre chronique : https://fauteuildorchestre.fr/index.php/2025/09/14/denali-au-theatre-juliette-recamier/),  on était impatient de découvrir ce que nous préparait l’auteur et metteur en scène.

L’histoire commence « in medias res », comme on dit en littérature, c’est-à-dire que l’action a déjà démarré avant le lever du rideau. Sophie arrive blessée dans un entrepôt et découvre à la télévision les images de l’attentat symbolique auquel elle vient de participer avec ses amis : déverser de la matière fécale sur Elon Musk en pleine visite auprès du président Macron. Très vite, tout va s’accélérer : son ami Jean arrive avec un homme, Matthieu, qu’il a pris en otage…

Si « Denali » était basée sur des faits réels, avec « Freedom Club », Nicolas Le Bricquir se lance dans le domaine de la dystopie. Certains comparent même cette pièce à un épisode de « Black Mirror » qui deviendrait vivant. Et tous les ingrédients en sont présents : une situation qui pourrait être réelle avec la présence de grands hommes de notre monde dans la ville de Paris et une avancée des technologies qui semble tout à fait plausible. Le spectateur est placé en tension dès les premières minutes de la pièce. Il découvre ce qui s’est passé avant au fur et à mesure de l’action, à la fois grâce aux échanges entre les personnages mais aussi grâce aux journaux télévisés. On ne peut que saluer l’utilisation des écrans de télévision (ceux des années 90) au plateau : tournés vers les comédiens, le public ne les voit qu’à un moment stratégique de l’action et ne peut donc qu’entendre les événements qui sont contés. Cela apporte une part d’imagination particulièrement intéressante mais aussi de frustration. L’être humain, fasciné par les écrans, s’en voit privé d’un coup alors qu’il en obtient le contenu sonore. L’action des membres du Freedom Club n’en apparaît que plus poignante puisque l’on connaît la force de l’imagination, toujours plus puissante que de simples images. Le spectateur devient un peu acteur de la situation, cherchant à imbriquer ce puzzle d’informations afin de bien comprendre le propos. Et ça fonctionne. Si des rires fusent parfois dans la salle, c’est justement parce que le public imagine parfaitement ce qu’il entend. On est happé par le récit. Nicolas Le Bricquir joue avec la posture du spectateur pour l’impliquer directement dans des faits qui pourraient le concerner. C’est brillant.

Sans trop en dévoiler pour ne pas gâcher la surprise, le public retrouve des éléments visuels qu’il avait aimés dans « Denali » avec l’utilisation des écrans en transparence pour figurer un laboratoire. Chaque passage est amené par des effets de lumière stroboscopique qui ancrent le spectateur dans le récit, le laissant quelques secondes ensuite dans le noir, créant une sorte de malaise. En effet, ce recours au changement de décor revient plusieurs fois mais surprend tout de même le public qui se retrouve systématiquement à l’intérieur d’un plot twist inquiétant. Cela a un effet de pause dans la narration, remettant à nouveau le spectateur en tension, lui donnant le temps de s’interroger sur ce qui va se passer, sur les différents enjeux qui seront posés. Ainsi Nicolas Le Bricquir emploie la technologie à bon escient pour faire entrer le public dans son histoire, tout en critiquant son utilisation par celle-ci (un peu comme Mélody Mourey dans « Big Mother »). On se dit qu’il va falloir compter sur cet auteur dans les années à venir pour nous bousculer dans nos habitudes théâtrales et venir nous chercher avec beaucoup d’intelligence et de réflexion. Donnant un aspect cinématographique à son récit (la musique y ajoutant une tension nouvelle), il s’amuse avec le spectateur pour mieux passer des messages. Un bon moyen de faire venir les jeunes générations dans les salles de spectacle. 

Les comédiens incarnent leur rôle avec beaucoup de passion. On les suit tous avec d’intérêt : on est fasciné par la passion et la détermination de Sophie, amusé par l’attitude de Matthieu, intrigué par la fougue de Jean et admiratif du calme de Laure. Ce huis clos nous a un peu fait penser aux « Justes » d’Albert Camus par son urgence et la puissance de ses personnages. Ceux-ci sont le reflet d’une jeunesse qui pense, réfléchit, se révolte, ne se laisse pas diriger par la société, une jeunesse remplie d’idéaux et de justice, une jeunesse qui a foi en la force de l’humanité. A travers ces caractères, on découvre une envie de réagir face à un monde qui tourne trop mal et qui court à sa perte, de façon quasi inéluctable. On suit cette course contre la montre (dont l’horloge qui défile rappelle la série « 24 heures chrono ») avec l’angoisse d’une fatalité digne des tragédies grecques.

« Freedom Club» est une pièce bouleversante qui vous tiendra en haleine à la manière d’un bon thriller.  Elle bousculera les passionnés de théâtre par son inventivité et son propos. Un chef d’œuvre à découvrir d’urgence.

Audrey C.

De et par : NICOLAS LE BRICQUIR

Avec Salomé Ayache, Lou Guyot, Ahmed Hammadi-Chassin, Mathis Sonzogni 

Production : Jean-Marc Dumontet

Assistante à la mise en scène : Charlotte Levy

Décors/scénographie : Henri Leutner

Musique : Emmanuel Jessua

Lumières : Thomas Cany

Costumière : Claire Schwartz 

OU ? Au théâtre Juliette Recamier

QUAND ? Jusqu’au 23 novembre 2025

TARIFS : de 23€ à 54€

DURÉE : 1h30

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