
Depuis le 3 septembre, le Lucernaire accueille « Gauguin – Van Gogh », une création de Cliff Paillé et David Haziot. Après un passage remarqué à Avignon cet été, la pièce s’installe à Paris pour notre plus grand plaisir. Et c’est l’occasion de retrouver deux comédiens hors pair, Alexandre Cattez et William Mesguich, dans un vibrant hommage à deux monstres sacrés de la peinture.
Octobre 1888. Sous les conseils de son frère Théo qui est marchand d’art, Vincent Van Gogh propose à Paul Gauguin de s’installer avec lui dans sa « maison jaune » à Arles dans le but de créer une maison d’artistes. Les deux compères ayant des caractères diamétralement opposés, la cohabitation se veut riche en échanges mais pas toujours évidente…
Avec « Gauguin – Van Gogh », on entre dans l’intimité de deux des plus grands artistes peintres français. Le public découvre leurs caractères : Van Gogh est angoissé, Gauguin est libre. Cela se ressent à travers leur vision de l’art. Si Van Gogh s’attache au réel, Gauguin, lui, prône le recours à l’imagination. Ainsi, les deux artistes vont partager leurs points de vue à travers des discussions semées de désaccords, de désillusions, mais de moments plus joyeux aussi. Car chacun va apprendre de l’autre à travers ces jours passés ensemble. Si Van Gogh semble enfermé dans une certaine folie qui lui coûtera la vie, Gauguin, de son côté, cherche à survivre pour sa famille et à évoluer en tant qu’artiste, en n’oubliant pas qu’il veut tout se permettre. Ensemble, ils vont vivre une vie de bohème, allant régulièrement rendre visite aux prostituées, peignant tout le jour durant. On est fasciné par la rapidité d’exécution de Van Gogh qui peint plusieurs tableaux par jour afin de saisir un instant sur ses toiles quand Gauguin, lui, prend davantage de temps pour rendre compte d’une idée. On vit les doutes de ces grands artistes qui ne savent pas qu’ils deviendront des mythes de l’art français, des doutes créant de grosses angoisses à Van Gogh, craignant de ne jamais être assez bon, des doutes qui rendront cette amitié toxique, expliquant le drame de l’oreille coupée…
Au-delà de l’histoire de ces deux peintres, le texte nous interroge sur ce qui fait justement les grands artistes. En les voyant en proie à des inquiétudes les paralysant parfois, le spectateur se rend compte de la force du travail et de la volonté dans l’art. Nul n’acquiert la réussite sans se donner entièrement pour son travail. A l’heure où tout va trop vite, où des dizaines de films sortent au cinéma chaque semaine, où les plateformes nous inondent de contenus, un spectacle comme celui-ci fait du bien car il montre que, pour arriver à l’excellence d’un Van Gogh ou d’un Gauguin, il faut du temps, de la passion, de l’investissement. Rien ne se fait sans souffrance dans l’art et il faut parfois supporter les doutes, les craintes pour atteindre ses objectifs… ou au final penser ne jamais les atteindre pour se montrer toujours compétitif. Comme le dit Van Gogh dans la pièce, rien n’est jamais terminé. Cela peut être achevé mais pas véritablement terminé. Cette notion de l’effort, que l’on retrouve aussi chez les grands écrivains du XIXe siècle, est particulièrement frappante dans la pièce. Un peintre peut-il tout montrer ? Faut-il peindre le réel ou donner sa propre vision des choses ? L’art a-t-il des limites ? Van Gogh et Gauguin ont été les précurseurs de peintres plus modernes auxquels ils ont ouvert la voie. Cela se ressent véritablement dans l’écriture de cette pièce.
Un tel propos se devait d’être servi par deux acteurs à la hauteur de ces illustres personnages. Alexandre Cattez et William Mesguich donnent vie aux deux artistes avec une vérité tellement flamboyante que le public en reste sans voix à la fin du spectacle. Ils sont vibrants, époustouflants, sublimes. Alexandre Cattez nous présente un Gauguin sans le sou mais débrouillard et sûr de lui. William Mesguich est un Van Gogh bourré d’angoisses et enfermé dans ses craintes avec une volonté de s’élever, sans savoir comment. Avec une mise en scène qui utilise des projections, des jeux de lumière, des chevalets floutés, cela crée une ambiance d’atelier qui happe le spectateur jusqu’à la fin.
« Gauguin – Van Gogh » est une réflexion sur l’art à travers deux artistes passionnants. Un spectacle sous forme de joute verbale impressionnante. A voir.
Audrey C.
De Cliff Paillé et David Haziot
Mise en scène Cliff Paillé et Noémie Alzieu
Avec Alexandre Cattez et William Mesguich
Scénographie Cliff Paillé
Décor Alain Villette
Lumières Yannick Prévost
Costumes Maxence Rapetti
Production Cie He Psst
Partenaires Cie la petite étoile
Soutiens Centres culturels Athénée Rueil-Malmaison, Jean Vilar Marly-le-Roi, Alexis Peyret Serres-Castet et Villes de Billère et de Pau
OU ? Théâtre Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris
QUAND ? Du 3 septembre au 16 novembre 2025
Mercredi > samedi 18H30 | Dimanche 15H
DUREE : 1h15
TARIFS : 32€