
Depuis le 11 juin, le théâtre Antoine accueille « Cyrano de Bergerac » dans une mise en scène d’Anne Kessler de la Comédie Française avec Édouard Baer. Après avoir ravi le public en janvier dernier, c’est un retour qui rendra heureux tous ceux qui n’ont pas encore pu s’y rendre.
L’histoire, tout le monde la connaît. C’est celle d’un homme, Cyrano, brillant, grand escrimeur, poète mais se trouvant tellement laid qu’il taira toute sa vie son amour pour sa cousine Roxane et prêtera ses mots à son rival qu’elle aime innocemment. Une histoire de blessure, d’honneur, de fidélité, de grandeur…
Mettre en scène un classique tel que « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand est toujours un pari risqué puisque de grands noms du théâtre et du cinéma l’ont déjà incarné avec beaucoup de réussite et qu’on pourrait imaginer que tout a été déjà fait. Anne Kessler nous offre une vision de l’œuvre très intéressante et très poétique. Elle revient à l’ADN même de la pièce : les mots, les personnages. L’utilisation du plateau et des décors est particulièrement pertinente : des tentures beiges en fond de scène avec une structure éclairée vont véritablement jouer un rôle dans la dramaturgie. Ces rideaux vont peu à peu réduire l’espace scénique comme pour mimer le piège dans lequel Cyrano s’insère sans espoir de retour. Elles finiront par se réunir en tas pendant la guerre puis par se déployer afin de figurer l’arbre de la scène finale. C’est visuel, c’est poétique, c’est beau. C’est comme si la toile tissée par le destin se refermait sur les personnages, à la manière de la tragédie antique. Ces toiles permettent d’insister sur les jeux d’ombres et de lumières, comme dans la scène du balcon où Cyrano déclare « Je ne suis qu’une ombre et vous une clarté ». Cyrano monte sur scène en apparaissant dans l’ombre, il meurt dans le crépuscule, où la lune, qui lui est si chère, le protège. Cela est particulièrement bien montré par cette mise en scène.
On saluera également la présence dans la troupe de deux musiciens (un guitariste et un accordéoniste) qui, en plus de jouer quelques rôles, réagissent aux répliques des comédiens par des mélodies. Cette interaction apporte un rythme particulièrement intéressant à la pièce. Certaines phrases, certains morceaux de bravoure sont ponctués par la musique afin de les rendre encore plus dramatiques. Les mots d’Edmond Rostand, écrits en vers, portent intrinsèquement en eux une certaine musicalité qui apparaît ainsi encore plus flagrante. Ne sommes-nous pas comme Cyrano qui aime à entendre le vers s’envoler comme il le fait ici ? On pense notamment à le chanson des cadets de Gascogne ou à la fin de l’acte IV.
Edouard Baer nous présente un Cyrano sans artifices. Si en effet il arrive au premier acte l’épée à la main, comme le veut la coutume, très vite, il va s’en voir privé. Ainsi, le public découvre que le comédien n’a pas besoin de décorum pour devenir le personnage. Il ne joue pas Cyrano, il l’est, dans son regard, dans sa posture, dans sa stature. Il se montre tellement charismatique avec le flegme et l’espièglerie qu’on lui connaît qu’il lui suffit de se présenter pour que le public y croie. Ainsi, il va apporter une puissance tragique empreinte d’une blessure qui déchire le spectateur. Admirable dans la tirade des nez et du « non merci », émouvant dans la scène du Balcon, bouleversant dans la scène finale, Edouard Baer se délecte de chaque vers prononcé et ne cherche pas à imiter ses prédécesseurs.
Sa complicité avec Grégoire Leprince-Ringuet (qui interprète Christian avec beaucoup de fraîcheur et loin des clichés du simple bellâtre) est un atout réel. Leur joute verbale reste en mémoire comme un des bons moments de cette version. De la même manière, Alexia Giordano (qui incarne une Roxane très forte, dont la voix un peu grave lui donne beaucoup de présence) forme un duo avec Edouard Baer tout à fait complice. Gilles Gaston-Dreyfus se montre un De Guiche inquiétant, froid, manipulateur. Atmen Kelif est un Ragueneau plein de rêves et d’énergie. A cela s’ajoutent les rôles secondaires qui apportent vraiment leurs émotions propres. On se réjouit de voir des femmes interpréter des rôles de soldats. On ressent un véritable esprit de troupe dans cette mise en scène où chacun est là pour faire progresser l’histoire.
Ce « Cyrano de Bergerac » est une véritable réussite parce qu’il met en avant des éléments importants du récit et des personnages. C’est une excellente vision à découvrir et faire découvrir.
Audrey C.
Avec : Alexia Giordano, Edouard Baer, Catherine Salviat, Tito El Francès, Aïtor de Calvairac, Grégoire Leprince-Ringuet, Atmen Kelif, Christophe Meynet, Rémi Briffault, Florent Hu, Telma Bello, Jeanne Fuchs, Gilles Gaston-Dreyfus, Michel Dussarat
Pièce de : Edmond Rostand
Mise en scène : Anne Kessler de la Comédie Française, assistée de Maïa Godin Hadji-Lazaro
Où ? Au Théâtre Fontaine
Quand ? Jusqu’au 29 juin
Tarifs :
Durée : 2h