
Depuis le 30 avril, le Lucernaire accueille « Bel-Ami », l’adaptation du roman de Guy de Maupassant par la compagnie Les joues rouges. Après le succès de « L’écume des jours », la troupe revient afin de mettre en lumière un des plus grands textes du XIXe siècle.
Jeune provincial, Georges Duroy arrive à Paris, rêvant de réussite. Très vite, il devient journaliste à La Vie française et il se fait une place importante dans le cœur des femmes de son entourage. Tout le monde finit par le surnommer Bel-Ami. Mais difficile de se rendre compte que, derrière l’apparence charmante du jeune homme, se cache un ambitieux sans borne… prêt à tout sacrifier, quel qu’en soit le prix.
Claudie Russo-Pelosi signe aujourd’hui une nouvelle adaptation et une mise en scène des plus réussies. C’est toujours un plaisir de voir revisiter ces grandes œuvres du XIXe siècle qui portent en elles toutes les problématiques d’un monde en devenir. Que ce soit l’essor de la presse, la place de la femme dans la société, les séquelles des guerres, la puissance des ambitieux capables de tout écraser sur leur passage, tout y est. On nous montre à quel point l’homme est prêt à basculer vers le XXe siècle, période pleine de modernité mais aussi d’atrocités. Le système de l’Ancien Régime n’est plus et on présente les dérives de l’ascension sociale qui donnera trop de pouvoir à ceux qui parlent plus, parlent mieux, parlent plus fort. A la manière d’un Rastignac, Bel-Ami traverse les années sans se soucier des dégâts qu’il peut faire. Érigeant l’ambition en déesse, il séduit, trompe, manipule, manigance avec une froideur glaçante. On ne peut que déplorer le sort de ces femmes perdues pour avoir cru en de trop beaux discours. Cette machine infernale de la trahison est particulièrement bien représentée par l’aspect chronométré de la mise en scène qui se déploie à un rythme effréné. Le spectateur se sent pris dans une course contre la montre après le destin. Les comédiens battent la mesure, se retrouvent comme dans des chorégraphies saccadées pour mieux insister sur cette imminence voire cette urgence après laquelle court Bel-Ami. Cela apporte presque un aspect musical à cette adaptation et participe du tragique de la situation. Les pieds des comédiens frappent le sol comme on sonnerait le glas. Très souvent les personnages tournent autour de Bel-Ami comme pour mimer la toile qu’il tisse impétueusement et qui pourrait bien se refermer sur lui. L’utilisation de la chanson « Bel-Ami » de Tino Rossi est un des passages les plus poignants de la pièce. De la même manière, la tirade sur la mort brillamment, interprétée par le personnage du poète Norbert de Varenne transperce le public par sa froide vérité.
Outre sa mise en scène, on peut également saluer les comédiens qui interprètent pour la plupart plusieurs rôles, changeant de costume (et parfois de coiffure !) à une vitesse impressionnante. Aurélien Raynal est un Bel-Ami aussi séduisant que glaçant. Adrien Grassard brille à la fois en tant que narrateur de l’histoire qu’en donnant vie à trois personnages totalement différents. Sara Belviso nous déchire par la légèreté amoureuse qu’elle apporte au personnage de Clothilde mais aussi par sa force face à l’emprise de Bel-Ami qu’elle tente de confronter, annonçant les combats des femmes au XXIe siècle. Clémence Roche présente une Madeleine froide et retenue comme pour ne pas se laisser piéger, à l’inverse de son personnage de Rachel, beaucoup plus ardent. Aymeric Haumont nous touche en Forestier qui perd tout ce qu’il a donné. Hanna Rosenblum nous bouleverse en femme bafouée lourdement manipulée. Sophie Condette apporte une touche naïve et fraîche à ces personnages un peu usés par la vie. Bien évidemment, les romans du XIXe donnent une part plus belle aux rôles masculins qui sont davantage mis en valeur. Cependant, le sort des femmes dans cette œuvre est particulièrement bien mis en lumière ici, comme notamment lors de la dernière joute verbale poignante entre Clothilde et Bel-Ami.
L’utilisation de rideaux en transparence permet une séparation des lieux très pertinente, tout comme les quelques projections en fond de scène. Les lumières jouent avec les comédiens pour insister sur l’ascension et le piège tendu par Bel-Ami. Les costumes reflètent parfaitement l’époque. Quelques décors réels, comme le banc, se mêlent aux projections pour nous figurer le Paris du XIXe siècle. Il n’en faut pas plus au spectateur pour se sentir transporté.
« Bel-Ami » est une très belle adaptation du roman de Guy de Maupassant, qui prouve, si cela est nécessaire, que ces grands récits sont encore d’actualité. A découvrir et faire découvrir.
Audrey C.
De Maupassant
Mise en scène et adaptation Claudie Russo-Pelosi
Avec Aurélien Raynal, Sara Belviso ou Coline Girard-Carillo, Aymeric Haumont ou Thomas Lefrançois, Clémence Roche ou Emma Laurent, Adrien Grassard, Hanna Rosenblum ou Julie Bordas, Sophie Condette ou Messaline Paillet
Lumières Dan Imbert
Costumes Marie-Coralie Sussan etClare Robinson
Décor Fabrice Puissant
Ambiance sonore Claudie Russo-Pelosi
Arrangement musical Adrien Ribat etPablo Clevenot
Animation visuelle Marguerite Teulet
Production Les Joues Rouges
Partenaires FNAC, Musée Jacquemart-André
Où ? au Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Quand ? Jusqu’au 27 juillet 2025
Tarifs : de 10€ à 32€
Durée : 1h20